L’édito de la semaine
Dimanche 23 juin 2019
Fête du saint-Sacrement
« Fête-Dieu »
En juin, continuons de prier pour les enfants martyrisés…
Et j’ai vu perler des larmes d’amour Qui dureront plus longtemps que les étoiles du ciel.
Pour moi, dit Dieu, je ne connais rien d’aussi beau dans tout le monde Qu’un gamin d’enfant qui cause avec le bon Dieu Dans le fond d’un jardin ; Et qui fait les demandes et les réponses (c’est plus sûr) ; Un petit homme qui raconte ses peines au bon Dieu Le plus sérieusement du monde, Et qui se fait lui-même les consolations du bon Dieu.
Or, je vous le dis, ces consolations qu’il se fait, Elles viennent directement et proprement de moi. Je ne connais rien d’aussi beau dans tout le monde, dit Dieu. Qu’un petit joufflu d’enfant, hardi comme un page, Timide comme un ange, Qui dit vingt fois bonjour, vingt fois bonsoir, en sautant Et en riant et en (se) jouant.
Une fois ne lui suffit pas. Il s’en faut. Il n’y a pas de danger. Il leur en faut, de dire bonjour et bonsoir. Ils n’en ont jamais assez. C’est que pour eux la vingtième fois est comme la première. Ils comptent comme moi. C’est ainsi que je compte les heures. Et c’est pour cela que toute l’éternité et que tout le temps Est (comme) un instant dans le creux de ma main.
Rien n’est beau comme un enfant qui s’endort en faisant sa prière, dit Dieu. Je vous le dis, rien n’est aussi beau dans le monde. Je n’ai jamais rien vu d’aussi beau dans le monde. Et pourtant j’en ai vu des beautés dans le monde Et je m’y connais. Ma création regorge de beautés. Ma création regorge de merveilles. Il y en a tant qu’on ne sait pas où les mettre. J’ai vu des millions et des millions d’astres rouler sous mes pieds comme les sables de la mer.
Et j’ai vu perler des larmes d’amour Qui dureront plus longtemps que les étoiles du ciel. […]
J’ai vu des journées ardentes comme des flammes, Des jours d’été de juin, de juillet et d’août.
J’ai vu des soirs d’hiver posés comme un manteau. J’ai vu des soirs d’été calmes et doux comme une tombée de paradis, Tout constellés d’étoiles. J’ai vu ces coteaux de la Meuse et ces églises qui sont mes propres maisons, Et Paris et Reims et Rouen et des cathédrales qui sont mes propres palais et mes propres châteaux, Si beaux que je les garderai dans le ciel. J’ai vu la capitale du royaume et Rome capitale de la chrétienté. J’ai entendu chanter la messe et les triomphantes vêpres.
Et j’ai vu ces plaines et ces vallonnements de France
Qui sont plus beaux que tout.
J’ai vu la profonde mer, et la forêt profonde, et le cœur profond de l’homme. J’ai vu des cœurs dévorés d’amour
Pendant des vies entières, Perdus de charité, Brûlant comme des flammes.
J’ai vu des martyrs si animés de foi Tenir comme un roc sur le chevalet,
Sous les dents de fer (Comme un soldat qui tiendrait bon tout seul toute une vie,
Par foi, Pour son général (apparemment) absent).
J’ai vu des martyrs flamber comme des torches, Se préparant ainsi les palmes toujours vertes. Et j’ai vu perler sous les griffes de fer Des gouttes de sang qui resplendissaient comme des diamants.
Charles Péguy, Le Mystère des saints Innocents, 1912